Nous assistons, depuis quelque temps, à une « déferlante éthique » : on débat sur la « bioéthique », les professions (architectes, chirurgiens-dentistes, médecins, policiers, sages-femmes, vétérinaires, pharmaciens...) se dotent de « codes de déontologie », même les entreprises privées édictent des « chartes éthiques » ; on peut citer, par exemple, la charte éthique d'Auchan qui indique qu'il ne faut pas « accepter les cadeaux d’un fournisseur, à titre personnel » et que les déjeuners offerts « ne peuvent être qu’exceptionnels, après accord de la hiérarchie ». Aujourd'hui, chaque secteur, chaque filière, chaque profession réclame davantage de moralisation.
Il y a pourtant une activité qui, jusqu’à maintenant, a échappé à ce besoin d’éthique : la politique. Non seulement, les acteurs politiques ne se sont pas dotés d'un code de bonne conduite, mais ils ne se sont jamais posés la question d'en avoir un.
Pourtant, il y a eu des précédents, qui ne s'appliquaient, il est vrai, qu'aux ministres. Citons l'ordonnance de 1302 de Philippe le BEL sur la « réformation du royaume » qui exigeait des serviteurs du royaume une vie privée « de bonne renommée » et leur interdisait de recevoir des cadeaux « si ce n’est de choses à manger et à boire ». Beaucoup plus récente, la circulaire de Michel ROCARD du 25 mai 1998 constituait un véritable code de bonne conduite destiné aux membres du gouvernement. Elle contenait des préceptes très intéressants : il faut « élaguer les dispositifs juridiques de leurs règles désuètes ou inutilement contraignantes » (faire des lois claires et nécessaires), il convient de préférer « le constat de l'action à l'annonce de l'intention » (refus des effets d'annonce), la désignation des titulaires d'emplois publics doit se faire « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » (refus du « spoils system »). Depuis cette circulaire, plus rien.
Aussi, est-il légitime de s’interroger : faut-il créer un code d'éthique politique ? Une petite précision en ce qui concerne le vocabulaire : le mot « déontologie » renvoyant aux devoirs moraux de l’exercice d’une profession, on ne peut pas parler de « code de déontologie politique » car, justement, la politique ne doit pas être un métier. Il est indispensable que les élus conservent une activité professionnelle, en complément de leur mandat, afin de conserver un ancrage dans la réalité. Il est toujours choquant d’entendre des élus dire qu'il faut « aller rencontrer les gens dans les cages d'escalier ». Cela veut dire quoi ? Que certains élus sont obligés de faire un effort pour rencontrer des citoyens ? Qu'ils habitent dans un endroit isolé et que, de temps en temps, ils vont faire une sorte de « safari électoral » pour voir à quoi ressemblent les citoyens (surtout quand ces mêmes citoyens vont prochainement devenir des électeurs) ? On sait où cela nous conduit : à avoir des députés qui ignorent le prix d'une baguette de pain, un Président de la République qui n'a jamais entendu parler de la souris d'un ordinateur… Bref : cela nous donne des élus qui sont de véritables extraterrestres ! C'est pourquoi, à la place de « code de déontologie politique », il est préférable d’employer « code de bonne conduite politique » ou encore « code d'éthique politique ».
Il convient, tout d'abord, de s'interroger sur l'utilité qu'aurait ce code d'éthique politique avant d'envisager son contenu.
I L'utilité du code d'éthique politique
L’argument que l’on pourrait opposer à la création de ce code d'éthique politique est simple : ce code n'aurait aucune valeur juridique. Après tout, pour réglementer les comportements des acteurs politiques, on pourrait penser qu’il suffit de modifier la Loi… J’entends le mot « Loi » au sens large, c'est-à-dire l'ensemble des normes (les lois faites par le Parlement mais aussi les décrets et les arrêtés).
Ce raisonnement permettrait de faire l'économie d'un débat sur la question mais il n'est pas complètement convaincant car, d'une part, la Loi ne peut pas tout réglementer et, d'autre part, on peut très bien susciter un comportement déterminé sans recourir à la Loi.
A) La loi ne peut pas tout faire réglementer
Ce serait une erreur de penser que l'on peut tout organiser par la Loi.
Tout d'abord, il y a des domaines où, justement, on n'arrive pas à légiférer. C’est le cas notamment des questions qui touchent directement les élus eux-mêmes : cumul des mandats, réforme du Sénat, suppression des Conseils Généraux, actualisation des découpages électoraux, refonte des listes électorales, etc.
Par ailleurs, il y a l'éternel problème des lois qui ne sont jamais appliquées. Prenons l'exemple de la loi ÉVIN qui instaure l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Ce n'est pas un hasard si elle n'a jamais été mise en pratique (pas une seule amende en 10 ans !) : son objet ne relève pas de la loi mais de la simple politesse. La Loi ne peut, hélas, obliger les gens à être polis ; elle ne peut pas remplacer ce qui relève de l'éducation. Il existe également des lois qui, par nature, ne sont pas applicables. Ainsi, bien que le suicide soit interdit en France (puisqu'on n'a pas le droit de porter atteinte à sa propre intégrité physique) on ne peut évidemment pas sanctionner ceux qui ont survécu à leur tentative de suicide ! Citons encore, pour l'anecdote, le cas récent d'un maire qui, parce qu'il n'y a avait plus de places dans le cimetière municipal, a pris un arrêté interdisant aux habitants de mourir ! Cela n’a pas dû être très efficace… Quand il n'y a plus de places dans le cimetière, il faut en construire un autre ; la Loi ne peut pas régler tous les problèmes.
Et même lorsque la Loi s'applique, c'est parfois avec une telle lenteur que l'on peut se demander si cela sert vraiment d’y recourir. D'ailleurs, la France est régulièrement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour la durée excessive de ses procès.
B) Les comportements peuvent être modifiés sans la loi
Force est de constater que l'on arrive quelquefois à imposer des comportements sans loi et, paradoxalement, avec plus d'efficacité que s'il y en avait une.
La simple transmission d'informations peut suffire à modifier les comportements. Un étiquetage avertissant qu'un produit contient des OGM ne serait pas sans incidence sur le comportement des consommateurs. D’ailleurs, l'activité de base de tout lobby est justement la transmission d'informations à des décideurs qui en sont parfois dépourvus.
Il est également possible de modifier les comportements par de simples arguments, en faisant appel à la raison ou au bon sens. On a tendance à tout vouloir réglementer, mais il suffit parfois de prendre la peine, et le temps, de convaincre. C'est dans cette logique que fonctionnent le Médiateur de la République et le Conciliateur de Justice qui parviennent à débloquer un grand nombre de situations conflictuelles sans avoir recours à des lois ou à des juges.
Par ailleurs, il est possible d'établir des règles de conduite sans loi. Ainsi, même s’il n'existe pas formellement de droit international, il y a des prescriptions qui sont respectées par un grand nombre de pays dans le monde. C'est ce qu'on appelle la « soft law » (le droit mou) qui est constitué de chartes qui ne sont, ni obligatoires à adopter, ni obligatoires à respecter. Mais lorsqu’un pays ne signe pas une charte, il doit s'en expliquer auprès des autres pays, des médias, de l'opinion publique… La pression est donc forte pour qu'il le fasse. Et une fois qu'il a signé, comme il a engagé sa parole, il sera tenu de respecter ses obligations.
Enfin, on fait parfois des choses justement parce qu'elles ne sont pas obligatoires. Un grand nombre d'entreprises utilisent ainsi comme argument de vente le fait d’effectuer dix fois ou cent fois plus de contrôles que ceux prévus par la Loi. Et dans le domaine politique, où les élus doivent régulièrement convaincre les électeurs, faire ce qui n'est pas obligatoire est un moyen pour eux de se démarquer. Il peuvent dire : « ce n'est pas obligatoire mais je le fais car j'estime que c'est comme cela que l'on doit faire de la politique ! ».
Pour toutes ces raisons, un code d'éthique politique pourrait efficacement compléter la Loi.
Jean-Christophe Picard
Il y a pourtant une activité qui, jusqu’à maintenant, a échappé à ce besoin d’éthique : la politique. Non seulement, les acteurs politiques ne se sont pas dotés d'un code de bonne conduite, mais ils ne se sont jamais posés la question d'en avoir un.
Pourtant, il y a eu des précédents, qui ne s'appliquaient, il est vrai, qu'aux ministres. Citons l'ordonnance de 1302 de Philippe le BEL sur la « réformation du royaume » qui exigeait des serviteurs du royaume une vie privée « de bonne renommée » et leur interdisait de recevoir des cadeaux « si ce n’est de choses à manger et à boire ». Beaucoup plus récente, la circulaire de Michel ROCARD du 25 mai 1998 constituait un véritable code de bonne conduite destiné aux membres du gouvernement. Elle contenait des préceptes très intéressants : il faut « élaguer les dispositifs juridiques de leurs règles désuètes ou inutilement contraignantes » (faire des lois claires et nécessaires), il convient de préférer « le constat de l'action à l'annonce de l'intention » (refus des effets d'annonce), la désignation des titulaires d'emplois publics doit se faire « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents » (refus du « spoils system »). Depuis cette circulaire, plus rien.
Aussi, est-il légitime de s’interroger : faut-il créer un code d'éthique politique ? Une petite précision en ce qui concerne le vocabulaire : le mot « déontologie » renvoyant aux devoirs moraux de l’exercice d’une profession, on ne peut pas parler de « code de déontologie politique » car, justement, la politique ne doit pas être un métier. Il est indispensable que les élus conservent une activité professionnelle, en complément de leur mandat, afin de conserver un ancrage dans la réalité. Il est toujours choquant d’entendre des élus dire qu'il faut « aller rencontrer les gens dans les cages d'escalier ». Cela veut dire quoi ? Que certains élus sont obligés de faire un effort pour rencontrer des citoyens ? Qu'ils habitent dans un endroit isolé et que, de temps en temps, ils vont faire une sorte de « safari électoral » pour voir à quoi ressemblent les citoyens (surtout quand ces mêmes citoyens vont prochainement devenir des électeurs) ? On sait où cela nous conduit : à avoir des députés qui ignorent le prix d'une baguette de pain, un Président de la République qui n'a jamais entendu parler de la souris d'un ordinateur… Bref : cela nous donne des élus qui sont de véritables extraterrestres ! C'est pourquoi, à la place de « code de déontologie politique », il est préférable d’employer « code de bonne conduite politique » ou encore « code d'éthique politique ».
Il convient, tout d'abord, de s'interroger sur l'utilité qu'aurait ce code d'éthique politique avant d'envisager son contenu.
I L'utilité du code d'éthique politique
L’argument que l’on pourrait opposer à la création de ce code d'éthique politique est simple : ce code n'aurait aucune valeur juridique. Après tout, pour réglementer les comportements des acteurs politiques, on pourrait penser qu’il suffit de modifier la Loi… J’entends le mot « Loi » au sens large, c'est-à-dire l'ensemble des normes (les lois faites par le Parlement mais aussi les décrets et les arrêtés).
Ce raisonnement permettrait de faire l'économie d'un débat sur la question mais il n'est pas complètement convaincant car, d'une part, la Loi ne peut pas tout réglementer et, d'autre part, on peut très bien susciter un comportement déterminé sans recourir à la Loi.
A) La loi ne peut pas tout faire réglementer
Ce serait une erreur de penser que l'on peut tout organiser par la Loi.
Tout d'abord, il y a des domaines où, justement, on n'arrive pas à légiférer. C’est le cas notamment des questions qui touchent directement les élus eux-mêmes : cumul des mandats, réforme du Sénat, suppression des Conseils Généraux, actualisation des découpages électoraux, refonte des listes électorales, etc.
Par ailleurs, il y a l'éternel problème des lois qui ne sont jamais appliquées. Prenons l'exemple de la loi ÉVIN qui instaure l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Ce n'est pas un hasard si elle n'a jamais été mise en pratique (pas une seule amende en 10 ans !) : son objet ne relève pas de la loi mais de la simple politesse. La Loi ne peut, hélas, obliger les gens à être polis ; elle ne peut pas remplacer ce qui relève de l'éducation. Il existe également des lois qui, par nature, ne sont pas applicables. Ainsi, bien que le suicide soit interdit en France (puisqu'on n'a pas le droit de porter atteinte à sa propre intégrité physique) on ne peut évidemment pas sanctionner ceux qui ont survécu à leur tentative de suicide ! Citons encore, pour l'anecdote, le cas récent d'un maire qui, parce qu'il n'y a avait plus de places dans le cimetière municipal, a pris un arrêté interdisant aux habitants de mourir ! Cela n’a pas dû être très efficace… Quand il n'y a plus de places dans le cimetière, il faut en construire un autre ; la Loi ne peut pas régler tous les problèmes.
Et même lorsque la Loi s'applique, c'est parfois avec une telle lenteur que l'on peut se demander si cela sert vraiment d’y recourir. D'ailleurs, la France est régulièrement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme pour la durée excessive de ses procès.
B) Les comportements peuvent être modifiés sans la loi
Force est de constater que l'on arrive quelquefois à imposer des comportements sans loi et, paradoxalement, avec plus d'efficacité que s'il y en avait une.
La simple transmission d'informations peut suffire à modifier les comportements. Un étiquetage avertissant qu'un produit contient des OGM ne serait pas sans incidence sur le comportement des consommateurs. D’ailleurs, l'activité de base de tout lobby est justement la transmission d'informations à des décideurs qui en sont parfois dépourvus.
Il est également possible de modifier les comportements par de simples arguments, en faisant appel à la raison ou au bon sens. On a tendance à tout vouloir réglementer, mais il suffit parfois de prendre la peine, et le temps, de convaincre. C'est dans cette logique que fonctionnent le Médiateur de la République et le Conciliateur de Justice qui parviennent à débloquer un grand nombre de situations conflictuelles sans avoir recours à des lois ou à des juges.
Par ailleurs, il est possible d'établir des règles de conduite sans loi. Ainsi, même s’il n'existe pas formellement de droit international, il y a des prescriptions qui sont respectées par un grand nombre de pays dans le monde. C'est ce qu'on appelle la « soft law » (le droit mou) qui est constitué de chartes qui ne sont, ni obligatoires à adopter, ni obligatoires à respecter. Mais lorsqu’un pays ne signe pas une charte, il doit s'en expliquer auprès des autres pays, des médias, de l'opinion publique… La pression est donc forte pour qu'il le fasse. Et une fois qu'il a signé, comme il a engagé sa parole, il sera tenu de respecter ses obligations.
Enfin, on fait parfois des choses justement parce qu'elles ne sont pas obligatoires. Un grand nombre d'entreprises utilisent ainsi comme argument de vente le fait d’effectuer dix fois ou cent fois plus de contrôles que ceux prévus par la Loi. Et dans le domaine politique, où les élus doivent régulièrement convaincre les électeurs, faire ce qui n'est pas obligatoire est un moyen pour eux de se démarquer. Il peuvent dire : « ce n'est pas obligatoire mais je le fais car j'estime que c'est comme cela que l'on doit faire de la politique ! ».
Pour toutes ces raisons, un code d'éthique politique pourrait efficacement compléter la Loi.
Jean-Christophe Picard