L'on a assisté au cours des deux derniers siècles et particulièrement depuis les années 60 au passage de la morale conservatrice, religieuse, ethnocentrée et patriarcale à une morale individualiste et libérale, basée sur les libertés individuelles et le respect. Cette morale est-elle moins violente, je l'ignore. Peut-être la violence est-elle autre, s'est-elle déplacée, notamment sur le terrain économique. L'impérialisme aussi a changé sans disparaitre, et force est de constater que pour beaucoup le bonheur demeure un droit abstrait, concrètement inatteignable. L'on peut d'ailleurs se demander si le rejet de la modération des désirs par la morale néolibérale ou capitaliste n'est pas directement opposé à la possibilité du bonheur dans la maîtrise de soi, de l'autonomie réelle comme maîtrise de ses engagements, apprtenances et dépendances, et si le repli de la moralité sur le seul respect, négatif, sans prise en compte de son versant positif qu'est la solidarité, ne constitue pas un frein à l'accès de tous au bonheur. N'est-ce pas finalement la tradition qui a changé ? Ne sommes-nous pas toujours pris dans la tradition, mais à présent en lieu et place du vieil ordre féodal et absolutiste celle de la bourgeoisie libérale qui laisse de côtés des millions de personnes, lesquelles ont "droit au bonheur" mais demeurent privées des possibilités ne serait-ce (mais pas seulement) que matérielles de sa construction effective ?
L'on observe une libéralisation des moeurs, et c'est heureux, mais aussi un recul de la solidarité, un repli de la moralité dans le seul respect des droits de l'autre sans souci de ses capacités matérielles et psychologiques, intellectuelles, culturelles, économiques et sociales à réaliser, concrétiser ces droits.
S'observent de nouvelles éthiques plus axées sur les libertés individuelles, mais avec la morale capitaliste aussi un recul de la solidarité. Cette morale est basée sur l'accumulation de Capital comme liberté-puissance voulue absolue. Pas de maîtrise de soi, de modération de sa liberté qu'il s'agit de maximiser en la comprenant comme pure puissance par l'accumulation et la reproduction du Capital. L'on veut être plus libre mais l'on exerce sa liberté contre autrui et finalement contre soi-même, en ne maîtrisant pas ses pulsions. Ce sont finalement les pulsions qui ont été libérées, le Ca libéré dans une certaine mesure du Surmoi, mais il parait peut-être plus difficile encore qu'auparavant de se réaliser Soi-même. Cela caractérise la morale capitaliste, effectivement hédoniste et qui gagnerait peut-être à intégrer des éléments plus épicuriens ou stoïciens. Depuis la théorisation de cette morale, de grands développements éthiques et philosophiques ont eu lieu qui nous permettent aujourd'hui de penser une telle synthèse.
Tu l'as dit Gérard : "la maturité affective n’est pas spontanée, elle demande de préférence l’expérience personnelle d’une vie autonome affectivement et économiquement". N'est-ce pas précisément cette capacité de construction de l'autonomie qui est en défaut dans la morale capitaliste et son refus de la compréhension et maîtrise de soi, sa fuite dans l'accumulation matérielle et la compétition avec autrui pour cette accumulation de liberté qui, parce qu'elle n'est pas modérée, est nécessairement insuffisante pour tous, certains en accumulant significativement plus que d'autres. La non-modération implique l'illimitude des désirs matériels, et ainsi la concurrence des puissances. 0r une telle situation ne peut que dégénérer en déséquilibre de ces puissances, de sorte que ceertaines deviennent pouvoir : puissance exercée à l'encontre d'autrui, sur autrui. L'éthique ne peut se réaliser dans une telle société conflictuelle, divisée.
Mais se font entendre aujourd'hui que le capitaluisme est en crise, de nouveau, des revendications de plus de solidarité, la compréhension que la liberté des uns est directement conditionnée par celle de l'autre, non seulement en droit mais en tant qu'elle doit être effective. L'on voit émerger par delà les morales libérales et socialistes de nouvelles éthiques basées sur l'autyonomie individuelle et la solidarité entre les individus, les générations et les peuples. C'est un phénomène nouveau qui devra se développer en déconstruisant la vieille morale néo-libérale, le travail des prochaines générations, celles qui ne seront pas éduquées par le capitalisme. Voilà ce que peut permettre la crise du capitalisme, pour peu que nous sachions construire une nouvelle éthique, plus développée que les précédentes, et résister à la facilité du repli sur des morales plus anciennes qui tentent de refaire surface. La chute du capitalisme, si elle est effective, est une chance mais aussi le risque que l'on observe aujourd'hui d'un retour de la morale conservatrice, des vieux sentiments patriarcaux, nationalistes, communautaristes. Il faudra bien plutôt trouver un équilibre entre nos appartenances communautaires et les morales privées d'une part, et la nécessité de fonder une éthique universelle qui les encadre et permette un vivre-ensemble mondial.
Ce qui est en jeu ici est de penser les fondements de la post-contemporanéité, dès-lors qu'on évite de se laisser enfermer dans un présent qui par définition, et tout particulièrement aujourd'hui, est changeant, une transition entere hier et demain. Les XIXème et XXème siècle ont vu s'opérer le passage de la modernité à la post-modernité qui est aujourd'hui en crise. Il nous apprtient alors de contribuer à déterminer ce qui lui succèdera. Penser, par delà le libéralisme et l'anti-libéralisme, un post-libéralisme et par delà l'individualisme et le holisme un interinidividualisme critique, peut-être un post-humanisme qui assume la complémentarité de l'autonomie individuelle et de la solidarité comme norme interindividuelle, norme de l'éthique et fondement, avec le respect comme droit, du politique. Dépasser enfin l'opposition entre individu et collectivité pour les penser ensemble, avec les Indignés, les Anonymous et cette nouvelle jeunesse qui émerge et remet en question le présent, non en se tournant vers le passé mais en inventant son devenir à partir d'une situation présente inédite.